Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 23/11/2015 : Primaire : La fin annoncée des circonscriptions
C'est la fin d'une organisation de l'enseignement primaire vieille de près de deux siècles qu'envisage le rapport des inspectrices générales Marie-Hélène Leloup et Martine Caraglio, publié le 20 novembre. Dénonçant l'inadaptation de la circonscription du premier degré, le rapport appelle à les remplacer par les établissements publics du premier degré (EPEP) ou par des établissements publics du socle commun (EPSC). Deux perspectives qui vont plus loin que la mission des inspecteurs de l'éducation nationale. Dans les deux cas, les métiers de professeur des écoles et de directeur d'école seraient également touchés tout comme la relation entre l'école et la commune.
Poser la question du pilotage des circonscriptions du premier degré c'est vraiment interroger l'histoire et la représentation que l'on se fait de l'école primaire. C'est ce qui ressort du rapport piloté par Marie-Hélène Leloup et Martine Caraglio. Il va bien au-delà de l'état des lieux pour envisager une rupture profonde de l'administration de l'école, en germe depuis une dizaine d'années.
Une administration vieille de deux siècles
Le rapport interroge la réalité du fonctionnement des circonscriptions du premier degré, il demande aussi si "l'entité circonscription est toujours pertinente" dans un contexte de réorganisation des services de l'Etat.
Interroger ainsi les circonscriptions c'est remettre en question une des plus vieilles structures de pilotage de l'école en France, apparues en 1838 dans le cadre de la loi Guizot. Or ce que révèle le rapport c'est d'abord que ce mode de pilotage est unique en Europe. Dans la plupart des pays européens, les établissements scolaires disposent d'une marge d'autonomie totale ou partielle alors qu'en France "l'absence de personnalité juridique prive l'école d'autonomie financière". Du coup, la fonction de directeur d'école est aussi particulière. Dans une Europe plus déecntralisée et où s'exerce de nouveaux modes de pilotage, la pression est forte pour faire évoluer la particularité française.
Une structure inadaptée
Pour les rapporteurs c'est d'autant plus nécessaire que la circonscription ne semble plus permettre un pilotage pédagogique efficace des écoles. Le rapport évoque "l'éparpillement" des inspecteurs. "La multiplication de missions transversales au niveau départemental ou académique génère la constitution de groupes de travail, induit la tenue de nombreuses réunions dont l’efficacité mériterait d’être mesurée", note le rapport.
D'autre part, le découpage des circonscriptions est "sans coincidence avec les territoires éducatifs et administratifs... A de rares exceptions près, la circonscription ne coïncide avec aucun autre type d’organisation interne, secteurs de collèges, bassins. La question de la relation avec la carte des intercommunalités est également posée ".
Le rapport note que la circonscription ne fonctionne pas comme un réseau d'écoles "dans la mesure où chaque école ignore aujourd’hui la réalité du fonctionnement des autres écoles de la circonscription, voire n’identifie pas le périmètre exact de la circonscription à laquelle elle appartient".
L'éparpillement des IEN
Le rapport parle de "l'éparpillement de l'activité des IEN" qui les éloigne de l'inspection. Une bonne partie de l'activité de la circonscription est prise par es taches de gestion des relations humaines (remplacements par exemple). "De nombreux IEN expriment le sentiment d’une mobilisation dans des micros tâches (souvent liées à des gestions de conflits qui se seraient singulièrement multipliées ces dernières années) et dans des tâches administratives ou logistiques qui laisseraient moins de temps pour la pédagogie. De fait, le coeur de métier de l’IEN, l’inspection dans les classes, qui permet d’apprécier l’état de la qualité des enseignements en même temps qu’il permet l’évaluation des personnels enseignants, connaît un recul significatif dans l’activité des circonscriptions". "Il y a un risque sérieux de méconnaissance des écoles et des enseignements", estime le rapport.
La volonté hirérachique
Pour les rapporteurs, la circonscription est bien condamnée par la hiérarchie de l'éducation nationale. "Pour la majorité des recteurs rencontrés par la mission, le système actuel de fonctionnement du premier degré a atteint ses limites et ne peut pas perdurer sous la même forme", écrivent les rapporteurs. "Ainsi, dans une académie majoritairement rurale, le recteur décrit des directeurs dépourvus de pouvoir hiérarchique et qui se sentent isolés, voire abandonnés. Il explique cette situation, d’abord, par le trop grand nombre de très petites écoles dans son académie, à la géographie municipale morcelée (plus de 2 000 écoles publiques) et, ensuite, par la taille des circonscriptions, trop grandes pour que l’IEN puisse jouer pleinement son rôle de supérieur hiérarchique. Dans une autre académie, le recteur considère que la circonscription n’a pas « de place naturelle » dans la stratégie d’emboîtement mise en oeuvre par le projet académique. Les IEN rencontrés dans cette académie reconnaissent d’ailleurs transmettre le projet académique aux enseignants « par obligation de service ». Pour un autre recteur « la circonscription ne prend son sens que si elle est maillée avec les collèges » et elle ne se justifie que par l’absence d’organisation administrative du premier degré en proximité. Les DASEN, quant à eux, sont unanimes : si un niveau de pilotage infradépartemental est souvent jugé nécessaire, la circonscription telle qu’elle fonctionne aujourd’hui n’est plus le niveau optimal de pilotage pédagogique. Les axes de travail sont élaborés au plan départemental. La diversité des pratiques locales des IEN ne permettrait pas de considérer les circonscriptions comme un facteur d’harmonisation du pilotage sur le territoire."
Plus qu'une rationalisation du découpage des circonscriptions pour le faire correspondre au découpage administratif, le rapport recommande une réforme du pilotage autour de deux scénarios : la création d'établissements publics du premier degré (EPEP) ou d'établissements publics du socle commun (EPSC) ce qui conduirait à une réforme du statut des école publique set de leur personnel.
La solution EPEP
Le premier scénario est celui de l'EPEP. Déjà proposé en 2004, il s'est heurté à des résistances dans l'éducation nationale mais aussi chez les maires. Enfin il a du mal à correspondre à la réalité des écoles : sur les 32 000 écoles élémentaires, par exemple, 25 000 ont moins de 9 clases et 11 000 moins de 4. "Dans le cas d’une entité unique, le directeur devenu chef d’établissement serait sur place et assumerait les tâches de direction. Dans le cas de groupements, le chef d’établissement serait implanté dans une école et il se déplacerait en tant que de besoin. Pour conserver la présence d’un interlocuteur au sein de chaque école du groupement, un référent y serait nommé, non déchargé mais avec une indemnité", note le rapport.
L'EPEP permettrait une gestion mutualisée des moyens et une action pédagogique plus efficace. "Le statut de directeur, chef d’établissement, permettrait de répondre plus facilement aux exigences des nouvelles réformes, notamment l’organisation du temps scolaire, l’articulation avec le temps périscolaire, et dans ce cadre la gestion des personnels", note le rapport.
Dans ce scénario les directeurs seraient associés aux conclusions des inspections des enseignants. Une meilleure concordance serait assurée entre les territoires administratifs et pédagogiques.
La solution EPSC
Le second scénario évoqué par le rapport est celui de l'établissement public du socle commun (EPSC). "L’établissement du socle commun comprendrait un collège et les écoles élémentaires et maternelles de son secteur : la ou les écoles élémentaires qui « alimente(nt) » le collège, la ou les écoles maternelles qui « alimente(nt) » la ou les écoles élémentaires. L’école maternelle serait ainsi intégrée. L’exemple fourni par les REP+ peut servir de référence éventuelle à l’émergence d’une conception intégrée de l’école maternelle au collège". Le rapport juge que cela permettrait une meilleure continuité pédagogique école - collège et une meilleure mutualisation des moyens.
Du coup la mission des IEN évoluerait . Ils ne seraient plus des "super directeurs" mais "auraient à évaluer les stratégies et actions menées dans les établissements sur des territoire splus grands", à l'image des IPR. Il reviendrait aux conseillers pédagogiques de faire face aux difficultés rencontrées avec les élèves.
La relance d'une vieille question
Le rapport relance une question lancinante depuis une dizaine d'années et qui divise syndicats et enseignants. Selon un sondage réalisé par le Se-Unsa en 2012, une majorité des directeurs d'école demanderait un pouvoir hiérarchique sur les enseignants et une évolution de la structure administrative de l'école. Le Se Unsa demande donc une expérimentation de l'EPEP. Mais un autre sondage, réalisé par le Snuipp-Fsu en 2010 donne un résultat contraire : 72,5% des enseignants, 69% des directeurs ne veulent pas d'établissement de l'enseignement primaire (EPEP). Le Snuipp se contenterait d'une certification directeur mais refuse de les transformer en supérieur hiérarchique.
La mise en place du nouveau socle, avec un cycle partagé entre école et collège et le conseil école collège, est venue peser à son tour pour une évolution des structures pédagogiques. Vu du ministère la réforme qu'il s'agisse de l'EPEP ou de l'EPSC, est vue comme une "modernisation" du pilotage assurant sur une base hiérarchique un exécution plus facile des instructions du centre.
Mais elle se heurte à une tradition bien ancrée et dont on peut mesurer aussi l'efficacité sur le terrain. D'une part la force du lien entre la commune et ses écoles. Cette force s'oppose aux rationalisations abusives des moyens. D'autre part la conception égalitaire du métier de professeur des écoles qui permet aussi de s'adapter plus facilement aux difficultés pédagogiques. A l'école un enseignant peut partager ses difficultés sans se mettre en danger ce qui est impossible dans le second degré. Sur ce terrain là, le modèle hiérarchique des établissements du second degré n'a pas fait ses preuves.
François Jarraud
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