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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 25/01/2013 : Claude Lelièvre : Une question de rythme ?

Réformer les rythmes scolaires, mettre en place des projets éducatifs locaux, est-ce une nouvelle lubie ministérielle ? Historien de l'éducation, Claude Lelièvre montre que ça vient de loin...

 

Il paraît qu’il faut donner du ‘’temps au temps’’ en matière de « rythmes scolaires » ou, mieux encore, de « rythmes éducatifs ». Tout serait une question de « tempo » (avec - dans une version plus sophistiquée - le souci que cela ne soit pas « imposé’’, ‘’décrété’’ d’en ‘’haut’’ mais parte de la ‘’base’’).

 

Une leçon d’histoire s’impose. Le premier texte inter-ministériel qui s’intéresse foncièrement à l’organisation du temps scolaire et éducatif, et qui offre à des partenaires patentés de l’Ecole (mouvements associatifs ou collectivités locales) une coopération institutionnelle est la circulaire du 13 décembre1984 signée par André Calmat (ministre délégué à la Jeunesse et aux Sports) et Jean-Pierre Chevènement (ministre de l’Education nationale). La circulaire souligne qu’ « une nouvelle organisation de la journée n’est pas une fin en soi », mais qu’ « elle a pour objet de prévoir des horaires et des activités tels que la liaison avec le monde socio-culturel et sportif se fasse de la meilleure manière possible ». Au Conseil des ministres du 12 février 1986, le ministre de l’Education nationale Jean-Pierre Chevènement se félicite qu’ « un an après son lancement, l’opération rencontre un succès croissant. Elle concerne maintenant 7 000 classes mettant en œuvre plus de 900 projets locaux (par exemple sports collectifs et individuels, ateliers de musique, visites culturelles, ateliers d’informatique) qui touchent plus de 220 000 enfants ». En définitive, le gouvernement entend poursuivre dans cette voie ; et, à l’issue de l’année scolaire 1986-1987, le nombre de projets devrait avoir triplé, portant le nombre d’enfants concernés à 600 000. Mais René Monory, qui succède en avril 1986 à Jean-Pierre Chevènement à la tête du ministère de l’Education nationale, n’est pas intéressé par la problématique des « rythmes scolaires ». Et ce qui a été entrepris marque le pas.

 

Au printemps 1995, Jacques Chirac est élu président de la République et la question des « rythmes scolaires » prend un autre tournant. Dès le début de la campagne des présidentielles, Jacques Chirac se prononce en faveur d’un référendum pour « une grande réforme de l’éducation nationale ». En ce qui concerne le primaire, une seule proposition, à savoir la réforme de l’organisation des rythmes scolaires. Et, de fait, en tant que maire de Paris, il avait auparavant soutenu un projet de l’Académie de médecine qui envisageait d’organiser la semaine des écoliers sur cinq journées consécutives, avec de larges plages réservées à des activités péri-scolaires culturelles et sportives l’après-midi. Mais des « difficultés d’organisation », et surtout une certaine réticence des enseignants parisiens avaient eu raison du projet.

 

Pour des raisons d’équilibre politique de la majorité présidentielle, François Bayrou a été reconduit à la tête du ministère de l’Education nationale. Mais on sait qu’il n’est pas favorable à un référendum sur l’Ecole, et qu’il se montre prudent et réservé sur la question des « rythmes scolaires ». C’est donc à Guy Drut, un fidèle de Jacques Chirac, qu’est dévolu le rôle de créer une dynamique à partir de son ministère de la Jeunesse et des Sports (ce qui va heurter inévitablement la forte administration de l’Education nationale, tentée de prendre une attitude attentiste). Guy Drut tente de mettre en œuvre une politique d’aménagement des rythmes scolaires sur cinq jours avec réduction de la durée quotidienne de classe, et des propositions d’activités complémentaires. Le 25 janvier 1996, il annonce une base expérimentale de 200 communes. En fait, 170 « sites pilotes » seulement seront retenus pour l’année 1996-1997. Le ministre accepte des réductions peu significatives de la durée de la journée, mais il est intraitable sur la semaine de cinq jours. Et il arrive que l’approche de Guy Dut, tranchant entre les matières ‘’fondamentales‘’ et celles de la ‘’sensibilité‘’, essuie le refus cinglant de maîtres qui y voient un regrettable recentrage sur le seul ‘’lire, écrire, compter‘’, faisant finalement peu de cas des disciplines artistiques ou de l’EPS...

 

Lors du colloque du 6 mai 1997 qui dresse le bilan des expérimentations en cours, Guy Drut affirme que « la question n’est plus de savoir s’il faut généraliser ces nouveaux rythmes scolaires, mais comment il faut faire pour les généraliser ». Il considère que cela doit avoir lieu dans les cinq ans à venir car « si l’expérience dure trop longtemps, on court le risque d’une école à deux vitesses ». Le ministre de la Jeunesse et des Sports estime que cela coûterait 6 milliards de francs, soit 2,5% du budget du ministère de l’Education nationale. Mais l’échec de la majorité présidentielle aux élections législatives de mai-juin 1997, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, ôte à Jacques Chirac et à son protégé Guy Drut la possibilité de légiférer en la matière.

 

Lors de son arrivée à la tête du ministère de l’Education nationale, Claude Allègre ne remet pas immédiatement et directement en cause les orientations précédentes, mais se montre circonspect. Le projet sur « les rythmes scolaires » rendu public le 28 août 1998 à la conférence de presse de Claude Allègre lors de la présentation de la « Charte de l’enseignement primaire » ne va pas dans le sens de l’orientation donnée à l’aménagement des « rythmes scolaires » par Jacques Chirac et Guy Drut, bien au contraire : « il ne doit pas y avoir une matinée avec cartable et une après-midi sans cartable. Cette conception a conduit soit à confier complètement l’après-midi à des intervenants extérieurs à l’école ; soit, comme en Allemagne, à rendre aux familles les enfants à partir de 14 heures ».

 

Finalement, selon un rapport de l’Inspection générale de l’Education nationale sur « l’état de la question de l’aménagement des rythmes scolaires » en date du 7 mars 2000, où en est-on quinze ans après que les premières mesures effectives aient été prises ? « Environ 70% des écoles n’ont mis en place aucun aménagement particulier ; 4% des écoles pratiquent la semaine de 5 jours avec des aménagements des rythmes scolaires alors que 26% des écoles pratiquent la semaine de 4 jours […]. La semaine de 4 jours favorise la vie familiale en fin de semaine ; mais elle laisse certains enfants désoeuvrés pendant trois jours par semaine quand il n’y a aucun accompagnement de cette mesure ; elle occasionne souvent une réduction du temps effectif d’enseignement (surtout dans les secteurs où les jours de rattrapage sur les vacances connaissent un absentéisme certain) ; elle favorise moins les rencontres entre parents et enseignants ; elle est parfois source de fatigue supplémentaire (effets chrono-biologiques maximaux au cycle II, s’estompant au cycle III). La semaine de 5 jours (choisie par 4% des écoles) est considérée comme plus favorable à la continuité éducative, à la répartition équilibrée des charges de travail et au respect des rythmes biologiques ; elle est donnée comme la meilleure formule quand il y a réel aménagement du temps (horaires quotidiens) et des rythmes (variété des modalités de travail, alternance des activités) ».

4% d’un côté (le ‘’bon’’ pour les chronobiologistes), 26% de l’autre (le ‘’mauvais’’) et 70% dans ’’l’immobilisme’’ : la ‘’base’’ a tranché. Et voilà pourquoi votre fille est muette.

 

Claude Lelièvre



28/01/2013
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