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Revue de presse : Article dans L'Express du 02/05/2011 : "Notre école ne doit pas être celle du mal-être"

Spécialiste de l'enfance et de la maltraitance, la psychanalyste et écrivain Claude Halmos réagit à une récente étude consacrée au mal-être à l'école. Elle nous livre des pistes de réflexion.

Le chiffre fait réfléchir. Selon une étude de l'Observatoire international de la violence à l'école, réalisée à la demande de l'Unicef, plus d'un enfant sur dix se dit harcelé, victime de violences physiques ou verbales répétées de la part d'autres élèves, dans l'enceinte de l'école. 

 

Être humain entraîne des obligations


Quels repères donner aux enfants pour qu'ils ne soient ni victimes ni agresseurs ? Carte blanche à l'auteur de Grandir. Les étapes de la construction de l'enfant. Le rôle des parents (Le Livre de poche). "Nous avons sous-estimé l'importance de l'éducation. Ces chiffres le prouvent. Or l'éducation est une "humanisation" : être humain entraîne des obligations. En premier lieu, celle de respecter l'autre, de ne porter atteinte ni à sa personne ni à ses biens. L'enfant doit comprendre cette loi et la respecter, sous peine d'être puni. On ne peut pas prétendre aimer un enfant si on ne lui donne pas cette éducation. C'est en y pensant que j'avais intitulé l'un de mes livres Pourquoi l'amour ne suffit pas (Nil Editions). Ce qui est frappant dans cette étude, c'est que les chiffres sont les mêmes dans les ZEP et dans les beaux quartiers. La violence n'est pas "génétique". Il n'y a pas de déterminisme social. Certes, elle peut être amplifiée par des situations économiques, mais on retrouve les mêmes carences éducatives partout. 

 

L'enfant respecté doit être éduqué

 

"Nous en sommes arrivés là pour plusieurs raisons. Mai 1968 a été le temps du refus, à juste titre, de l'autorité répressive. Mais on a, à partir de là, considéré que toute autorité était par essence répressive. C'est faux. S'est ajoutée à cela une lecture erronée de Françoise Dolto. On a oublié que celle qui refusait l'éducation-dressage, destructrice, et prônait le respect de l'enfant, posait dans le même temps, très clairement, que l'enfant respecté devait être éduqué, formé à respecter les règles de la vie en société. Car sur l'échelle de la gravité, il n'y a pas d'opposition entre petites infractions (vol d'un goûter, bousculade) et explosion de violence. Il n'y a pas de petits délits. Baisser le pantalon d'un camarade est une atteinte au corps, à la pudeur, à l'image de soi. C'est exposer la victime à un jugement (sexe petit, etc.) ; c'est donc un traumatisme. Un goûter volé, c'est une privation violente par un plus fort que soi. Cela peut réactiver des angoisses de bébé quand, totalement dépendant de l'adulte, on attendait un biberon. Les petits comme les grands délits plongent l'enfant dans une angoissante jungle sans loi. C'est encore plus grave lorsqu'ils sont répétés. Mais l'attention doit également être portée sur l'agresseur : abandonné à sa violence, il est autant en danger que sa victime. 

 

Complicité passive des adultes

 

"Comment l'enfant devient-il un souffre-douleur ? Il faut que trois facteurs soient réunis dans le même temps. L'enfant devient victime parce qu'il ne sait pas se défendre et se montre malheureux. Ses agresseurs -il s'agit d'un groupe d'enfants dans lequel il y a souvent un ou plusieurs leaders qui catalysent la sauvagerie potentiellement présente chez tous les enfants- se sentent ainsi les plus forts et ont envie de continuer. Enfin, surtout, la complicité passive des adultes qui fuient leurs responsabilités en ne voyant pas ou en ne voulant pas voir ce qui se passe. 

 

Kit de survie mentale

 

"Les parents doivent donner à leur enfant un "kit de survie mentale". Lui faire comprendre que, si l'on ne doit pas agresser les autres, on doit néanmoins se défendre lorsqu'on est attaqué. Lui expliquer que les agresseurs sont des enfants auxquels on n'a pas appris les règles sociales, des bébés dans leur tête, mais des bébés dont il faut se protéger... Il faut également dire aux enfants que se faire agresser est une chose dont il n'y a pas à avoir honte et que c'est arrivé même aux adultes. Que les adultes savent comment se règlent ces problèmes, et qu'il faut leur en parler. En tant que parents, il faut ensuite être vigilant quand l'enfant se plaint d'avoir mal au ventre, à la tête, et refuse d'aller à l'école sous des prétextes divers. Il faut alors savoir poser les questions et entamer un dialogue. 

 

Former les enseignants

 

"En ce qui concerne les pouvoirs publics, Eric Debardieux, le directeur de l'étude, cite des pays comme la Finlande ou la Grande-Bretagne, qui ont fait baisser de 50% la violence à l'école en signalant les cas et en initiant des campagnes de prévention. Je pense qu'il faut surtout former les enseignants qui, très souvent, comme les parents d'ailleurs, considèrent ces agressions comme des "histoires d'enfants", des événements mineurs. Il faut leur expliquer la portée de ces actes et leur apprendre comment sanctionner les agresseurs mais aussi comment parler avec les élèves. 

 

Ne pas taire la violence

 

L'essentiel est de ne pas taire la violence. Elle a lieu dans la cour ? Il faut punir les agresseurs mais aussi en parler en classe. Pendant cinq ou dix minutes. Demander aux enfants ce qu'ils en pensent, expliquer les règles, les enjeux, commenter la notion de loi, rattacher cela à du français, de l'histoire... Si l'on pouvait faire cela dans toutes les petites classes, les chiffres de la violence baisseraient sensiblement. Je ne crois pas du tout, en revanche, au fichage des enfants agressifs. Ce serait une erreur. Chez un enfant, tout est en construction, donc mobile et mobilisable. Il ne faut pas le figer dans une identité fallacieuse. Les agresseurs sont des enfants normaux que l'on n'a pas éduqués." 

 

Propos recueillis par Marie-Christine Deprund



02/05/2011
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