Revue de presse : Article dans Le Figaro du 26/01/2011 : Le casse-tête de l'anglais en maternelle
Les spécialistes demeurent perplexes à l'idée de faire découvrir la langue de Shakespeare aux élèves dès l'âge de 3 ans.
Peut-on apprendre l'anglais à l'école maternelle? L'annonce du ministre de l'Éducation nationale, Luc Chatel, qui entend élargir l'apprentissage de la langue de Shakespeare aux élèves dès l'âge de 3 ans, laisse perplexes les spécialistes. Pourtant, quelques initiatives existent, essentiellement dans les grandes villes et dans des écoles bilingues ou privées, à la pédagogie innovante, comme Montessori.
À Paris, en grande section de maternelle, les enfants scolarisés à Saint-Jean-de-Passy bénéficient actuellement d'une heure d'anglais par semaine dispensée par un intervenant étranger, moyennant un financement supplémentaire des parents. Ces exemples amusent Michel Morel, membre du bureau de l'association des professeurs de langues vivantes. « Ces écoles mettent des moyens importants dans l'apprentissage des langues vivantes, mais les parents qui peuvent se permettre de les payer sont rares. Comment peut-on envisager d'apprendre l'anglais à des bambins de 3 ans qui ont déjà des carences énormes dans leur propre langue? À cet âge, les connaissances de vocabulaire en français varient déjà de un à six. Le risque, c'est de leur faire perdre pied», estime-t-il.
S'il est favorable à l'idée «d'habituer l'oreille des enfants à d'autres sons, car leur cerveau est bien plus performant que celui d'un adolescent», il ne faut pas, selon lui, «commencer l'apprentissage d'une langue étrangère avant de savoir lire et écrire, c'est-à-dire vers l'âge de 6 ou 7 ans». Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp, le premier syndicat du primaire, n'est pas forcément hostile à une telle idée. «On peut imaginer de la sensibilisation aux langues étrangères sous la forme de comptines ou de jeux, par exemple.» Il réfute en revanche de façon «catégorique» la possibilité de remplacer les professeurs par de l'enseignement à distance, via Internet ou la vidéo, comme le propose Luc Chatel. «Les écrans sont des outils très utiles, mais il est impensable qu'ils remplacent les enseignants.»
C'est pourtant bien du côté de la formation des enseignants que le bât blesse. Depuis une dizaine d'années, les professeurs des écoles primaires sont censés enseigner une langue étrangère du CE1 au CM2. Le concours de recrutement comporte d'ailleurs une épreuve de langue depuis 2006. Reste que les plus âgés n'ont pas bénéficié de cet apprentissage et que les plus jeunes ne sont pas toujours à l'aise, notamment à l'oral, faute d'une formation suffisante, non seulement disciplinaire, mais aussi pédagogique. Il n'est pas rare que certains d'entre eux aient bénéficié d'à peine neuf heures de formation.
Certains ont dans le passé réussi des certifications, «dispensées plutôt légèrement par l'administration», explique Michel Morel. Car elles permettent au ministère de limiter l'embauche des «rustines », ces intervenants extérieurs en langues ou ces professeurs du secondaire, venus pallier l'insuffisance des professeurs de primaire. Dans les filières de sciences humaines dont ils sont issus pour la plupart, les enseignants n'ont en effet le plus souvent étudié l'anglais qu'à l'écrit, via des traductions, par exemple. Certains n'en ont même pas fait du tout depuis le baccalauréat. «Je connais la grammaire anglaise, mais je suis bien incapable de parler en anglais, explique Justine, professeur des écoles à Nice, j'aurai trop peur de faire des fautes de prononciation, d'accent, etc.» Cette dernière a donc décidé de faire l'impasse sur les cours de langue de sa classe de CE2. Elle se contente de «passer quelques chansons en anglais».
Pourtant, selon les programmes scolaires, les élèves de primaire doivent bénéficier d'une heure et demie par semaine de langue. Dans les faits, il s'agit plutôt d'une heure. En raison de la baisse des horaires à l'école primaire, ramenés à vingt-quatre heures par semaine en 2007, les enseignants se sont recentrés sur les fondamentaux, le français et les mathématiques, et ont donc rogné sur d'autres matières jugées moins prioritaires. «Une heure, c'est mieux que rien, c'est une initiation. On habitue l'oreille, on enregistre quelques mots. Mais il y a une telle carence de moyens que l'on ne peut ensuite prétendre arriver à un bilinguisme en classe de terminale, c'est un mensonge. Quant à l'apprentissage en maternelle, il ne semble pas franchement prioritaire», affirme Michel Morel. D'autant plus, lorsque les postes d'intervenants en langues font figure de variable d'ajustement budgétaire pour le ministère.
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