Revue de presse : Article dans Le Monde du 08/04/2010 : Les professionnels de la petite enfance en colère
C'est un projet de décret sur l'accueil collectif qui a mis le feu aux poudres. Pour créer de nouvelles places dans les crèches, la secrétaire d'Etat à la famille, Nadine Morano, souhaite augmenter le "taux de surnombre" qui permet, à titre exceptionnel, d'accueillir plus de bébés que prévu: il devrait passer de 10 % à 15 % pour les crèches moyennes, de 10 % à 20 % pour les grandes. Concrètement, une structure conçue pour 60 bébés pourra accueillir, dans les mêmes locaux et sans personnel supplémentaire, jusqu'à 72 enfants.
Pour le gouvernement, cette mesure "pragmatique" répond à la demande des familles. "L'augmentation du taux de surnombre permettra, par exemple, d'accueillir un enfant dont l'assistante maternelle est malade ou dont la mère se rend à un entretien d'embauche, explique Mme Morano. Il s'agit d'une mesure ponctuelle qui facilitera la vie des familles. Nous voulons simplement introduire plus de souplesse dans la gestion des crèches."
"Pas de bébés à la consigne" voit les choses tout autrement. "Il faut du temps pour être à l'écoute d'un enfant, explique l'un des porte-parole du collectif, Christophe Harnois. C'est important de pouvoir lire une histoire tranquillement, d'aider un enfant à manger, de passer un moment avec ses parents le matin ou de lui faire un câlin, le soir, lorsqu'il est fatigué. Ce sont des petites choses toutes simples qui aident les enfants à grandir et que nous ne pourrons plus faire si les surnombres augmentent."
Le collectif est d'autant plus inquiet que le projet de décret abaisse le niveau de formation des professionnels des crèches. Les "plus qualifiés" – puéricultrices, auxiliaires de puériculture, éducateurs de jeunes enfants – devraient passer de 50% à 40% des effectifs, tandis que les CAP ou les BEP ayant trois ans d'expériencepasseront de 50% à 60%. Pour Mme Morano, il s'agit de "rendre justice" à des professionnels qui ont déjà travaillé avec de jeunes enfants. Pour le collectif, il s'agit d'une nouvelle atteinte à la qualité de l'accueil.*
UN RETARD CONSIDÉRABLE
Si la colère du monde de la petite enfance est si forte, c'est parce que, en matière de garde, la France accuse un retard considérable. Selon le rapport rédigé en 2008 par la députée (UMP) Michèle Tabarot, elle compte à peine un million de places d'accueil pour 2,4 millions de moins de trois ans. Pénurie de crèches, manque d'assistantes maternelles, recul progressif de la préscolarisation à deux ans… "Le besoin d'accueil non satisfait est évalué entre 300 000et 400 000 places", concluait la députée des Alpes-Maritimes.
Face à un tel déficit, les parents se débrouillent comme ils peuvent. Dans une étude réalisée en 2007 à Grenoble, Eric Maurin, professeur à l'Ecole d'économie de Paris, avait démontré qu'après le refus d'une place de crèche près de 30 % des mères, surtout dans les familles défavorisées, étaient obligées de garder elles-mêmes leur enfant alors qu'elles auraient préféré travailler. "Dans les milieux modestes, la crèche est le seul mode de garde payant réellement accessible", concluait-il.
Pour tenter de combler le retard français, Mme Morano a annoncé la création de 200 000 places d'ici à 2012: 100 000 chez les assistances maternelles, 100 000 dans des services d'accueil collectif comme les crèches, les microcrèches, les crèches d'entreprise ou les jardins d'éveil. Une enveloppe supplémentaire de 1,3 milliard d'euros sur quatre ans a donc été confiée en début d'année au Fonds national d'action sociale, qui consacre plus de la moitié de ses crédits à la petite enfance. "Il s'agit d'un effort inédit en période de crise", souligne le gouvernement.
Cette enveloppe, si importante soit-elle, ne suffira cependant pas à créer 200 000 places d'accueil. Le gouvernement a donc annoncé qu'il emprunterait également la voie "de l'assouplissement des normes et de l'optimisation de l'existant". A l'automne, les assistantes maternelles ont été autorisées à garder non plus trois, mais quatre enfants, et la Caisse des allocations familiales espère créer près de 40 000 nouvelles places en "optimisant" la gestion des crèches, notamment par une meilleure utilisation des plages d'ouverture.
Ces calculs désespèrent le Collectif "Pas de bébés à la consigne", qui plaide pour un plan ambitieux assurant le maintien des qualifications et le développement des crèches publiques. "En France, il n'y a plus de politique de la petite enfance, affirme M.Harnois. C'est grave pour les enfants, qui n'ont pas accès à un mode d'accueil de qualité. Mais c'est aussi grave pour les femmes: quand il n'y a pas de solution de garde, ce sont elles qui quittent le marché du travail pour s'occuper des enfants, parfois contre leur gré."
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