Revue de presse : Article dans Le Point du 01/07/2011 : Quand l'éducation ne sera plus nationale
Deux nouvelles coup sur coup viennent accréditer l'idée que, sous son immobilisme apparent, le mammouth vit en réalité une mutation majeure, inquiétante, diront certains.
D'abord, il y a l'enterrement, sans fleurs ni couronnes, ni surtout faire-part, de l'éducation prioritaire. Les bonnes vieilles ZEP (zone d'éducation prioritaire), devenues RAR (réseau d'ambition réussite), s'appelleront désormais ECLAIR (École, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite).
Simple changement de sigles ? Pas du tout, changement d'ère en réalité. Les établissements ECLAIR voient en effet leurs directeurs dotés de pouvoirs élargis : ils sont libres de recruter et d'affecter des enseignants à des fonctions qui auront été définies par le conseil d'administration et le conseil pédagogique de l'établissement. Dans le cadre ECLAIR, on est invité à innover pour sortir de l'ornière. On gagne en autonomie afin de s'adapter à la situation difficile des élèves. On objectera que cette autonomie n'est pas illimitée. Par exemple, la circulaire nationale décrivant le dispositif prévoit que soit nommé dans les établissements ECLAIR un "préfet des études". Celui-ci assure un suivi complet des élèves, non par classe, mais par niveau.
École républicaine
Se substituent-ils aux enseignants référents qui, dans feu les réseaux d'ambition réussite, impulsaient et encadraient des projets pédagogiques ? Parfois oui, parfois non. Cela dépendra de la décision locale, explique Jean-Michel Blanquer, le directeur de l'enseignement scolaire rue de Grenelle. Dans ECLAIR, chacun fait ce qui lui plaît. Il faut dire qu'ECLAIR n'est pas bien vieux : le dispositif a été annoncé il y a un peu plus d'un an lors des États généraux sur la violence à l'école. Aucune évaluation, aucun rapport n'a conclu que l'instauration d'un préfet des études a fait reculer l'échec scolaire, le décrochage ou la violence... Il est, dans ces conditions, plus prudent de laisser le chef d'établissement décider, seul, et sans indications sérieuses pour éclairer cette décision. Instaurer l'autonomie des établissements en catimini, contre l'avis des acteurs de l'éducation nationale, voire de la population qui reste attachée à l'idée d'une école républicaine, est à ce prix.
Mais les tabous volent en éclats à l'Éducation nationale. Des députés membres d'une mission d'information sur la formation initiale et les modalités de recrutement des enseignants préconisent, ni plus ni moins, la suppression des concours d'enseignement. Certes, ce n'est pas pour demain, "l'opinion publique n'étant pas prête à une transformation aussi radicale", reconnaît Jacques Grosperrin, député UMP du Doubs. Mais à titre de mesure intermédiaire, ils conseillent de commencer par l'agrégation externe. Ces mesures ne sont pas des lubies. Radicales, elles sont la traduction raisonnable d'une réforme qui a déjà eu lieu, sans débat véritable, sans égard pour les conséquences nocives qu'elle n'a pas manqué d'entraîner : la mastérisation de la formation des enseignants. Stage insuffisant, confusion de la formation à la discipline et de la formation pédagogique, absence de réflexion sur ce que doit être une formation à l'enseignement, baisse drastique du vivier de candidats en raison du rallongement des études, rien n'a été prévu ni pensé.
Stratégie locale, objectifs nationaux
Dans le cadre de cette réforme, la suppression du concours est assez logique. Elle nous aligne sur la plupart des pays voisins, où l'on apprend à être enseignant à l'université et où l'on postule une fois diplômé sur le marché du travail. C'est le cas dans les pays nordiques, ou en Grande-Bretagne. Les chefs d'établissement définissent leur stratégie locale pour atteindre des objectifs assignés au niveau national. Ils recrutent leurs professeurs, lèvent des fonds supplémentaires auprès de partenaires privés. Le tout dans un marché scolaire complètement ouvert : les parents en général sont libres, eux aussi, de choisir leur école.
Rien n'est plus opposé à l'ADN de l'école française ! Mais l'idée fait son chemin. La fin du concours serait la première pierre de cet édifice. C'est ni plus ni moins la fin de l'idée qu'on se fait en France de l'Éducation nationale. Car ce qui est en cause ici, ce n'est pas tant l'idée d'autonomie opposée au mythe d'une école identique pour tous les enfants de la République : ce mythe tient déjà largement de la grande illusion. Ce qui est scandaleux, c'est qu'une rupture si radicale intervienne sans discussion véritable, sans même que la nation en soit informée. Il est plus que temps que les termes du débat soient clairement posés, sans nostalgie ni crispation idéologique. En 2012, chiche ?
Par Marie-Sandrine Sgherri
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