Revue de presse : Article dans Les Echos du 01/07/2011 : L'inceste, fléau de l'ombre, avec deux millions d'adultes victimes
Près de deux millions d'adultes ont été victimes d'inceste dans leur enfance, un nombre infiniment supérieur aux cas sur mineurs déclarés, s'alarme la Haute autorité de santé (HAS) qui publie jeudi des recommandations aux médecins pour mieux dépister ce fléau "gravement occulté".
"L'inceste reste le tabou des tabous. Il y a un vrai gouffre entre les 3% de personnes touchées et les violences sexuelles déclarées - au maximum de 15.000 nouveaux cas par an, dont environ deux-tiers d'incestes, soit environ 10.000 ", relève le Dr Cédric Grouchka, de l'HAS.
"On peut estimer", dit-il à l'AFP, qu'il s'en produit "300 par jour". "C'est un véritable fléau sanitaire".
L'inceste a des conséquences dévastatrices, souligne Isabelle Aubry, victime d'inceste et présidente-fondatrice de l'association de victimes AIVI (aivi.org).
Les victimes sont plus déprimées et ont des rapports aux autres plus difficiles que le reste de la population, sans compter l'impact négatif sur leur vie sexuelle. 98% se sentent ou se sont senties régulièrement déprimées, selon un sondage Ipsos réalisé l'an dernier.
En parler est difficile : "c'est une voisine qui m'a fait cracher le morceau", dit-elle. "Pour protéger nos enfants, il faut en parler, prononcer le mot inceste, maintenant c'est plus facile parce que c'est dans le code pénal" depuis 2010.
"Il y a dix fois plus de troubles des comportements alimentaires, deux fois plus de dépendances à l'alcool, six fois plus de pulsions suicidaires et bien plus de dix fois de phobies des autres que dans la population générale", note le Dr Grouchka.
"Les professionnels de santé ont un rôle essentiel pour le repérage et le signalement de ce fléau gravement occulté, qui est grave et pas rare contrairement à ce que l'on pense, ajoute-t-il.
Plus la détection est précoce, plus les thérapies sont efficaces.
"Il faut avoir le réflexe et y penser comme on pense au cancer du poumon quand on voit un patient tousser, sinon on risque de passer à côté", conseille le Dr Gilbert Vila, pédopsychiatre, responsable de centre de victimologie des mineurs.
"fléau de santé publique"
Les signes sont divers (soudain décrochage scolaire, fugue, plaintes répétitives de douleurs inexpliquées, famille fermée...), peu spécifiques et rarement physiques, mais c'est leur convergence qui doit éveiller l'attention.
"Si un médecin ne fait un signalement à la justice que quand il y a délabrement du périnée, alors il ne va pas en signaler souvent", lance le Dr Vila.
"Aujourd'hui on demande au ministre de la Santé de faire son travail, c'est à dire de traiter l'inceste comme un fléau de santé publique, en faisant des recherches, en mettant en place de véritables centres de soins, en formant les professionnels, en formation continue mais aussi initiale et en faisant des campagnes de communication grand public", résume Mme Aubry rappelant que la dernière campagne date de 2002.
Les victimes ont en moyenne 4 à 10 ans.
Il est important d'intervenir rapidement, insiste Thierry Boulouque, chef de la brigade de protection des mineurs (Paris) en évoquant des "incestes à répétition" qui se reportent sur les plus jeunes, quand les premiers ont grandi.
"On a fait un sondage auprès des Français et on leur a demandé si vous êtes devant un enfant victime d'inceste et qui vous demande de garder le secret, que faîtes-vous. Eh bien, 60% des Français ne disent rien, ne font rien et attendent des preuves et seulement 30 % font ce qu'il doivent faire, c'est à dire prévenir les autorités", ajoute Isabelle Aubry.
"Pour que cela s'arrête", l'HAS va diffuser à tous les médecins généralistes, de PMI et scolaires, ses recommandations déjà disponibles en ligne (www.has-sante.fr.).
Par Brigitte CASTELNAU
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