Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 06/10/2011 : Le cahier de texte numérique en colloque
"Manifestement le cahier de texte numérique est en train de signaler une mutation importante du métier d’enseignant. Et c’est probablement pour cela que des réticences s’expriment". Bruno Devauchelle rend compte du colloque organisé par la Maison des sciences de l'Homme Paris Nord les 5 et 6 octobre sur ce nouvel objet éducatif. Entre enseignants, élève, parents et chefs d'établissement (voire inspecteurs), le cahier de texte rebat les cartes et pousse les frontières. Il a au moins l'intérêt d'obliger les acteurs à se considérer et se parler. C'est pas si fréquent dans le système éducatif...
Les 5 et 6 octobre se tient à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord un séminaire de recherche qui a pour thème : « Le cahier de texte numérique dans le milieu éducatif : une approche interdisciplinaire et internationale ». Au moment où le cahier de texte numérique s’installe de manière officielle et obligatoire dans le paysage scolaire, un tel séminaire est d’un intérêt évident pour l’ensemble de la communauté scolaire française, mais aussi internationale. La doctorante Paola Costa (Télécom Paristech et Université de Genève) dont la recherche porte sur cette question a su rassembler, avec l’aide de Daniel Peraya (Tecfa Genève) et Caroline Rizza (Telecom Paristech – Commission européenne), une cinquantaine de chercheurs et acteurs. Ils ont été accueillis par son directeur Pierre Moeglin, lui-même particulièrement attentif à ces travaux dont il a souligné la nouveauté, la rareté et l’intérêt aussi bien pour la communauté des chercheurs que pour les acteurs de terrain.
Des recherches sur le cahier de texte numérique
Bien qu’il ne soit obligatoire que depuis cette année scolaire au collège et au lycée (cf la circulaire jointe en fin de ce texte), le cahier de texte numérique est déjà expérimenté depuis plusieurs années, en particulier au travers des ENT, mais aussi d’autres initiatives d’établissements. Paola Costa, Manuel Schneewele (Doctorant, LISEC) et Sylvain Genevois (Maître de conférences en Sciences de l’Education à l’Université de Cergy PontoiseIUFM Versailles) ont mis en évidence l’adoption rapide du cahier de texte numérique, en particulier pour certains types d’enseignants pour qui le passage au numérique ne pose pas de problème.
Au-delà de ces enseignants, la très grande majorité des enseignants qui ont répondu aux enquêtes proposées ont mis en évidence le déplacement des rôlesdes acteurs induit par le nouveau texte sur le cahier de texte numérique. C’est principalement la conception de la relation entre les différents acteurs, parents, enseignants élèves, hiérarchie qui évolue. Il y a donc de nouveaux effets en termes de médiation. Même si l’on constate encore le doublonnage papier/numérique dans de nombreux cas, on remarque que les pratiques avec le cahier de texte numérique sont avant tout la transcription des pratiques traditionnelles avec le papier. Si l’on observe qu’il y a corrélation entre disciplines enseignées et pratiques du cahier de texte numérique, on remarque que les usages gestionnaires prescrits sont privilégiés. Mais à ces usages normés se superpose le souhait d’impliquer les parents par l’outil, espérant un accompagnement meilleur de la scolarité des jeunes par le fait qu’ils accèdent au cahier de texte de leur enfant.
A partir de ces travaux on s’aperçoit qu’il est important de rassurer les enseignants par rapport à l’idée de contrôle, d’informer sur le bon usage, d’accompagner ou tout au moins d’assurer qu’ils ne sont pas isolés, et enfin encourager l’effort fait. Le cahier de texte est un objet qui pour les enseignants peuple leur imaginaire et leur quotidien, aussi la transposition numérique est-elle facilitée car la dimension technique passe au second plan. On observe même dans certains exemples le fait que le cahier de texte numérique sert d’outil de valorisation du manuel scolaire numérique.Ce que l’on observe est que la nature des usages du cahier de texte numériques sont variés, allant de la trace écrite complète du cours au complément de cours ou encore le titre et les devoirs à faire à la maison. Manifestement le cahier de texte numérique est en train de signaler une mutation importante du métier d’enseignant. Et c’est probablement pour cela que des réticences s’expriment, souvent en amont de son déploiement. Parmi les questions repérées dans les trois exposés on a pu entendre celles du droit d’auteur, celle du suivi par la hiérarchie, celle d’une évolution en cours de la forme scolaire.
Avant que les participants au séminaire n’en viennent aux questions deux cahiers de textes numériques ont été présentés qui ont permis de voir deux types de projets. L’un est le fait d’un enseignant passionné qui a développé seul un ENT. L'autre est le fait d’un enseignant, tout aussi passionné, qui a rejoint le consortium qui a conçu l’ENT d’Ile de France et qui donc représentait l’approche plus institutionnalisée des ENT. Les deux modèles proposés ont montré des objets aux caractéristiques voisines mais aux ambitions bien différentes. Ce qui ressort de ces présentations est l’opposition entre des projets locaux fragiles mais très contextualisés et des projets régionaux qui doivent s’adapter à tous les contextes. La solution idéale n’existe probablement pas, mais les questions n’ont pas manqué de surgir aussitôt les présentations terminées. Ce qui a été signalé en fin de présentation c’est que les enseignants demandent vite des aménagements, des gadgets si le produit est très simple. De plus parmi les questions identifiées par les auteurs celle de l’obéissance des enseignants aux prescriptions d’usage ainsi que celle de l’image du métier d’enseignant qui peut transparaître au travers du cahier de texte numérique sont centrales.
Parmi les principales questions et remarques posées on a pu relever la comparaison internationale posée par un participant anglais qui a noté l’absence de cette logique dans son pays. En France il semble que le produit permette une rationalisation de pratiques en dérive. Un témoignage de chef d’établissement présent dans la salle montre que les parents ne posent pas de problème à propos du cahier de texte numérique alors qu’ils sont très revendicatifs sur les notes et les moyennes. Un des chercheurs nous rappelle que les élèves ne regardent principalement que les devoirs et que les pratiques de copie de cours de l’autre élève perdurent. Pierre Moeglin a proposé une analyse du phénomène abordé : pour lui la discussion de ce séminaire qui aurait été impossible il y a 5 ans est indicatrice d’une mutation sur trois registres : l’évolution des ressources pour soutenir l’enseignement, l’autonomie des enseignants repensée, et la structure des établissements qui se transforme de plus en plus en gestionnaire de système d’information. Un participant ressentant l’absence de la question des finalités dans ce déploiement y associe l’absence de concertation avec les enseignants pour démontrer que les intentions mériteraient d’être explicitées. En conclusion Jean François Cerisier posait la question du lien entre l’évolution de la visibilité des traces du travail des enseignants et l’avenir des EPLE dans le paysage éducatif global. On peut penser, pour notre part, que la question de la forme scolaire est effectivement posée et que le cahier de texte numérique peut être à la base de changements beaucoup plus radicaux dans le monde scolaire.
La deuxième partie de la journée était consacré à des ateliers ayant pour thèmesLes usages pédagogiques du cahier de textes numérique ;les enjeux de l'ouverture du collège à la communauté éducative (parents, collectivités territoriales, etc.) : le rôle du cahier de textes numérique dans cette perspective ; et enfin les alternatives non-institutionnelles au cahier de textes numérique. Le premier atelier a mis en évidence la question de la complexité des outils et de leur adéquation aux besoins des utilisateurs. Il a rappelé que tout tourne autour de la forme scolaire en évolution et que c’est un vrai changement de travail de l’enseignant, même si les usages pédagogiques attendus sont encore mal définis et mal compris par les acteurs. Le second atelier a évoqué l’idée des enseignants comme une communauté qui s’appuie sur des outils numériques. Il a aussi rappelé que si pour l’état l’enjeu est d’abord de montrer que ça marche, les enjeux réels ne sont pas explicités à ce niveau, ce qui renvoie in fine au rôle du chef d’établissement, à l’effet chef d’établissement. Le troisième atelier a mis en évidence des comportements surprenants d’étudiants qui fuient les outils institutionnels qui leur sont proposés ? Même si dans l’enseignement scolaire, les élèves sont plus dociles, on assiste à de telles manifestations face aux ENT. Il apparaît qu’il y a nécessité de penser une continuité ou un métissage entre l’environnement personnel et l’environnement institutionnel et qu’un écart trop important peut être source d’échec. Cependant, pour les participants à cet atelier il ne faut pas négliger l’importance pour l’institution, comme pour les élèves de préserver des espaces dédiés, sources d’identification possible qu’une dilution dans le web grand public rendrait difficile. Il n’est pas incongru de se poser la question de la participation plus active des usagers, enseignants et élèves à la conception de tels dispositifs, ainsi l’appropriation pourrait peut-être en être facilitée.
La table ronde de la fin de journée à rassemblé trois acteurs de l’académie de Créteil qui ont pu illustrer de manière remarquable la réalité locale. Le conseiller TICE du recteur, Claudio Cimelli, un membre de la DATICE de Créteil, Dominique Fazilleau, et une chef d’établissement Véronique Gasté ont apporté un témoignage détaillé de la réalité du déploiement du cahier de texte numérique dans l’académie de Créteil. Après avoir présenté quelques éléments d’expérimentation, l’ensemble des participants a pu comprendre comment se met en place progressivement un dispositif nouveau. Le témoignage de D Fazilleau a permis de comprendre le rôle de l’accompagnement et de la formation dans le processus d’appropriation en articulant les différents acteurs concernés dans l’établissement. Relais a été fait avec V. Gasté qui avec enthousiasme a montré comment la mise en place du cahier de texte numérique pouvait être un « médiateur » entre l’établissement scolaire et les familles. Arrivée dans un établissement soumis à de forte tension, le déploiement du cahier de texte numérique a été l’occasion d’introduire un objet tiers dont chacun pourrait s’emparer pour mieux se situer par rapport aux autres. Si la première année 9 enseignants sur 40 (juin 2010) ne s’y étaient pas encore mis, un an plus tard tous les enseignants utilisent l’outil à la satisfaction, semble-t-il de tous, parents, élèves et équipe pédagogique. Ce qui a été aussi remarqué c’est que la formation des enseignants a été accompagnée de la formation des élèves et surtout des parents d’élèves, puisqu’une fois par an une soirée leur est proposée sur ce thème. C. Cimelli a mis en évidence l’importance d’une politique d’incitation forte. Rapportant les résultats d’une enquête sur 7 établissements, il a apporté un regard complémentaire et élargi étant donné la variété des établissements et des populations de l’académie.
A la question juridique apportée par un participant, les réponses ont été précises aussi bien pour le niveau de l’établissement que celui de l’académie. On sent bien que la préoccupation juridique est constante dans ces projets, mais qu’en même temps elle n’est pas un frein à l’usage mais plutôt un appel à la responsabilité de chacun. Si les chefs d’établissements sont particulièrement sensibilisés en formation, ils sont soutenus par le rectorat en cas de besoin. Par contre, leur rôle vis-à-vis des enseignants est primordial, allant jusqu’à prendre en compte les contenus disponibles pour les soutenir vis-à-vis de récrimination des parents. Plutôt qu'outil de contrôle, le cahier de texte numérique est plutôt un outil qui permet l’accompagnement par la hiérarchie. Prenant son rôle d’inspecteur en exemple, Claudio Cimelli a rappelé qu’un inspecteur n’a pas plus d’heures qu’un autre personnel dans une journée et qu’il ne peut passer son temps à examiner, même s’il le pouvait, le contenu des cahiers de textes numériques des enseignants, ceux-ci sont trop nombreux. Par contre il rappelle, à l’instar de la chef d’établissement, l’intérêt du support comme outil de dialogue potentiel, mais aussi, comme le rappelle la circulaire, comme outil de mémoire.
En terminant cette journée par un regard sur les élèves, il a été clairement montré l’intérêt qu’ils pouvaient y trouver (2 consultations par semaine en moyenne) et surtout sur le fait que, comme pour les enseignants, avec l’habitude d’usage des besoins nouveaux apparaissent qui amènent à élargir les fonctionnalités disponibles initialement vers de nouvelles possibilités permettant d’aller vers des formes de cours en ligne d’un type nouveau.
En conclusion de cette journée, Daniel Peraya nous a rappelé l’importance de ne pas chercher systématiquement une généralisation uniforme mais plutôt d’observer dans ce cadre du cahier de textes numériques qu’il existe des pratiques variées, efficaces, souvent contextualisées localement et qu’il serait absurde de vouloir les éliminées parce que trop « petites ». Ce qui peut faire la richesse des usages du cahier de texte numérique c’est plutôt qu’on ne cherche pas à en faire un objet unique et formaté qui s’appliquerait à tous de manière uniforme… ce qui risquerait de provoquer rapidement un phénomène rejet…
La deuxième journée qui a lieu ce jeudi 6 octobre va davantage porter sur les comparaisons internationales dans le déploiement des ENT. Un séminaire passionnant qui associe acteurs de terrains et chercheurs et qui s’appuie sur des données empiriques pour fonder sa réflexion et engager des travaux de recherches dont la journée a prouvé que les objets pouvaient être nombreux.
Bruno Devauchelle
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