Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 25/03/2011 : Politique locale numérique cherche modèle de gouvernance
Depuis lundi, Bordeaux fête le numérique et expose sa métamorphose en cité digitale. Mercredi, l’école était au cœur des débats. Celui qui réunissait des élus de plusieurs villes numériques est allé au-delà des murs de la classe, embrassant dans ses questionnements toutes les dimensions d’une éducation partagée.
Partenariat + volontariat = succès ?
L’enseignement primaire a longtemps été le parent pauvre du numérique. Lorsque les villes s’en emparent pour offrir aux élèves les conditions d’un apprentissage ancré dans l’époque, l’investissement s’avère important. Equipement, câblage, routeurs, adaptation de locaux, l’addition motive une réelle politique éducative. Elle éveille aussi les impatiences pour que l’utilisation effective soit à la hauteur de l’effort financier consenti.
A Marseille, des tableaux numériques avaient été fournis en 2005 par l’inspection académique sans avoir été ensuite utilisés. Alors, lorsque la ville choisit de déployer des Tni dans les écoles, les élus et les conseillers techniques cherchent à comprendre les raisons de l’échec.
Facteurs de succès, les partenariats sont mis en avant. Bordeaux a pris soin d’associer l’inspection académique pour accompagner les enseignants volontaires dans l’opération de déploiement des Tni. Les écoles équipées ont au préalable présenté un projet étudié conjointement par des représentants de la Ville et de l’Education Nationale. Cette coopération entre les deux structures est variable selon les territoires. Mais tout de même, en écoutant les témoignages des représentants des villes, on ne peut que remarquer une évolution positive vers une plus forte concordance des actions pour le développement du numérique. Fruit de l’expérience ou règne de l’économie d’échelle, la recherche d’une coopération des acteurs, financeurs, décideurs, prescripteurs pour amener les enseignants à utiliser le TNI est réelle.
Le volontariat des enseignants est également une clé de la réussite pour la plupart des villes présentes. Ne pas brusquer, respecter les réticences, parier sur la capillarité pour étendre les usages, l’expérience a distillé ses leçons en matière numérique. Combien d’outils ont péri dans les placards, victime de leur arrivée là où on ne les désirait pas. Le déploiement est souvent progressif, sur trois à cinq ans, un temps nécessaire pour que le projet soit viable financièrement, un temps raisonnable pour convaincre les plus réticents à s’impliquer aussi.
Un outil numérique, une ouverture éducative
Le choix du Tableau numérique interactif n’est pas anodin. Outil pédagogique plus qu’outil informatique, il nécessite un accompagnement pour que son usage soit effectif et durable. A Limoges, une école désaffectée est devenue centre de ressources où les enseignants peuvent se former et trouver écoute à leur question. A Elancourt un séminaire annuel est organisé par la mairie avec le CRDP autour des nouveaux usages et nouveaux outils. Une cité numérique réservée aux enseignants a été mise à disposition par Apple. Elle permet aux enseignants d’échanger sur les usages, de se former entre eux. Autres partenaires, les industriels peuvent entrer aussi dans le tour de table pour financer les projets numériques.
Le Tni en entrant dans la classe offre de nouvelles perspectives pédagogiques mais il percute peu les pratiques des autres acteurs de l’école. Or, lorsqu’une ville se lance dans une politique éducative numérique, elle le fait souvent aussi pour des raisons qui dépassent le cadre de la classe, englobe l’ensemble de la communauté éducative et même au-delà. Madame Collet, élue en charge de l’éducation à la ville de Bordeaux, le précise bien : l’objet du numérique est aussi de faire du lien, or créer du lien, c’est le travail des politiques.
Le lien avec les parents est déjà ravivé par des blogs, il peut l’être aussi par des espaces numériques de travail. A Bayonne, E-ban est implanté dans les écoles sur un mode bilingue, en basque et en français. De plus en plus de villes réfléchissent à la mise en place d’ent. Mais est ce suffisant pour impliquer les parents, pour qu’ils s’emparent eux aussi de l’espace digital ? A Nantes, ils sont associés dès la conception du projet numérique pour inclure leurs besoins et les impliquer dans l’action. La communauté éducative est ainsi réunie.
Une politique numérique, des politiques de la ville
La question fait débat dès lors que la pédagogie repointe son nez. Dans le partage des responsabilités, la pédagogie demeure dans la sphère enseignante. La ville attribue les moyens et les parents participent à la vie de l’école mais demeurent au seuil de la classe. Or, si le numérique s’empare de l’école, la frontière entre enseignement et éducation se floute. La porte de la classe s’ouvre et le regard des parents passe de témoin à acteur.
Pour la ville, l’enjeu est d’importance. Miser sur le numérique vise plusieurs objectifs. Au Blanc Mesnil, il est perçu comme un élément d’attractivité pour le choix d’une école. Si elle est équipée, elle ne sera pas désertée par les enfants de classe moyenne. D’autres objectifs peuvent motiver l’investissement de la ville : afficher une certaine modernité, viser une nouvelle dynamique, réduire la fracture sociale. Le projet numérique éducatif se coordonne, s’enchâsse avec d’autres volets de la politique de la ville, le projet éducatif local en premier lieu, la politique sociale, économique, la communication au sein de la cité et à l’extérieur. Cette multiplicité des enjeux n’est pas toujours exprimée et brouille un peu les pistes.
En développant de véritables politiques numériques, les villes sortent du schéma classique « l’enseignement pense, la ville dépense ». Replaçant l’école au cœur de la cité, elle rebat les cartes du débat éducatif. La nouvelle géographie éducative se met en place mais sur la pointe des pieds de peur de briser trop fort le tabou d’une pédagogie ancrée dans la classe. Pour que l’ère digitale s’empare réellement de la sphère éducative il faudra franchir ce seuil : celui d’une reconnaissance réelle de l’éducation partagée.
Monique Royer
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