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Revue de presse : Article dans Le Monde du 13/05/2011 : "A l'école élémentaire, les notes sont inutiles"

Alors que le Mouvement contre la Constante macabre, initié par le chercheur André Antibi, se réunit, à compter de samedi 14 mai, à la Région Ile-de-France, des voix s'élèvent pour protester contre la notation-sanction. Sociologue, enseignant à l'université de Rennes, Pierre Merle a publié Les notes. Secrets de fabrication (PUF, 2007). Cet enseignant explique comment une hiérarchisation et un classement à outrance sont des freins à la volonté d'apprendre.

 

Selon vous, l'évaluation par les notes est-elle profitable, et à partir de quel âge ?

A l'école élémentaire, les notes sont inutiles. Des écoles en Finlande, par exemple, font réussier leurs élèves sans y recourir. Ce n'est qu'à partir de la 4e ou 3e que l'on peut envisager des notes, car on s'approche d'un grand palier d'orientation où il est utile de hiérarchiser les compétences. Certains avancent que l'on doit habituer très tôt les enfants à la compétition : cet argument est une projection du monde des adultes. L'école prépare avant tout les enfants à l'apprentissage, et non à la compétition. On n'a pas besoin de classer et de hiérarchiser pour apprendre. L'essentiel de ce qu'on a appris dans la vie, que ce soit la cuisine ou le vélo, ce n'était pas par des notes mais par des conseils. Ce conseil peut s'exprimer par une évaluation à base de couleurs (vert pour l'acquis, rouge pour le non acquis…). Alors qu'avec une note globale, l'élève ne sait pas sur quoi il doit centrer ses efforts.

 

L'enfant fait-il vraiment la différence entre des mauvaises notes au stylo rouge et des points rouges "non acquis" sur sa fiche d'évaluation ?

Avec les points de couleur, c'est différent pour l'enfant et l'enseignant, car les compétences non acquises sont spécifiées. Avec les autres formes d'évaluation, on n'a pas d'indication. Et puis, les enfants ne vont pas aller compter les points verts et les points rouges entre eux. Tandis qu'avec une note, l'élève est classé dans une hiérarchie qui va du plus fort au plus faible.

 

Certains professeurs rendent les copies en les triant, de la meilleure note à la plus mauvaise. Que penser de ce genre de méthode ?

Il s'agit de pratiques très humiliantes, qui montrent bien la hiérarchie entre la valorisation des meilleurs et le rabaissement des plus faibles. Certains professeurs vont jusqu'à mettre la plus mauvaise copie à la poubelle, où l'élève doit aller la récupérer. Associer la mauvaise note à la poubelle, c'est associer l'élève à la poubelle. Des études psychologiques ont montré que le jugement négatif sur soi avait un effet très délétère sur l'apprentissage.

 

Alors que faire pour noter intelligemment ?

Il faudrait développer les notations "thérapeutiques", c'est-à-dire donner des notes qui visent à ne pas décourager. Par exemple, des notes au-dessus de 7. La plupart des professeurs expérimentés savent qu'il faut faire des contrôles progressifs, avec des premières questions faciles et quelques-unes plus difficiles à la fin. Mais la formation des professeurs en matière d'évaluation et de construction des contrôles est un domaine très ignoré. A cela s'ajoutent des biais sociaux d'évaluation plus ou moins conscients. Des études ont par exemple montré qu'à compétence égale, les redoublants et les garçons en général étaient moins bien notés. De même, quand on vient de corriger une très bonne copie, on va noter la suivante plus sévèrement.

 

Ne peut-on pas imaginer un système d'anonymat des copies ?

Une bonne solution est celle de la mutualisation : faire corriger les copies de ses élèves par un collègue. Les élèves apprécient beaucoup. Parfois, ils ont l'impression d'être sacqués et ils n'ont pas tort ; de fait, ils sont sacqués.

 

La notation constitue-t-elle une pression pour les professeurs ?

Tout à fait, car il y a des normes de notation qui relèvent de traditions disciplinaires. En philo, un professeur dont la classe aurait 12 de moyenne serait considéré comme laxiste. On part du principe que c'est une matière difficile, donc les notes doivent être faibles. Par contre, en musique, en sport ou en arts plastiques, qui ne sont pas des matières sélectives pour le passage en classe supérieure, les professeurs sont obligés de mettre de bonnes notes, sinon les élèves ne viendraient pas.

Au contraire, en maths, matière décisive, la notation est importante car elle permet de faire la différence entre ceux qui peuvent passer ou pas. Les professeurs sont un peu contraints par ces normes disciplinaires. Sans compter qu'ils subissent un jugement de la part de leurs collègues et du chef d'établissement.

 

D'après le chercheur André Antibi, auteur de La Constante macabre (Math'adore-Nathan), qui désigne une façon de noter qui veut que toutes les classes aient des mauvais élèves, l'enseignant conditionne son identité professionnelle à sa façon de noter…

Il n'a pas tort. Selon les enseignants, la notation va aller de 2 à 17, ou de 7 à 13… Les élèves de classes préparatoires scientifiques ont tous eu une mention bien ou très bien au bac. Pourtant, en prépa, ils auront des notes souvent très faibles. Les professeurs deviennent de plus en plus sensibles pour différencier, classer les meilleurs. Ce sont des habitudes très élitistes. Là encore, la fonction de classement supplante la mission d'apprentissage.

En France, 18 % des jeunes sortent sans diplôme ! C'est monstrueux. A titre de comparaison, en Corée du Sud, ils ne sont que 3 %. L'organisation française scolaire fabrique de l'exclusion et de l'échec. Elle créé un quart-monde scolaire, qui devient un quart-monde professionnel. On sait que les non diplômés ont un risque de chômage très élevé et sont très tôt marginalisés.

 

Propos recueillis par Maéva Louis

 



16/05/2011
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